L’ECOLE MATERNELLE
L’ECOLE MATERNELLE
Parmi les événements les plus mémorables dans la vie d'un enfant est sans doute l’entrée en classe de première année scolaire. D’abord parce qu’il se produit à cet âge-là une coupure entre la période de liberté et d’insouciance dont jouissent les enfants avant leur scolarité , puis le fait que l’élève se découvre non préparé aux usages de communication de l’instituteur ou de l’institutrice, ainsi que sa relative adaptation aux matières telles que le langage ou les rudiments du calcul. La méthode préscolaire préconisée chez nous actuellement appelée préparatoire mais non obligatoire est la crèche ou garderie qui consiste seulement à surveiller des enfants ou les occuper avec des jeux et la plupart de ces établissements sont privés. Les jardins d'enfants de la commune appelés souvent garderies sont des établissements comportant plusieurs classes relevant des prérogatives du Ministère de l'Intérieur et des collectivités locales et gérés par les communes. Les classes enfantines, appartenant à l’Éducation Nationale et se trouvant généralement au sein des établissements d'enseignement primaire sont destinées à accueillir en priorité les enfants d'enseignants et de fonctionnaires du Ministère de l’Éducation Nationale, âgés de 4 à 6 ans. On remarque ici des méthodes de privilège, favorisant des super enfants d’enseignants inscrits avant l’âge scolaire dans des classes de préparation jusqu'à la première année primaire. Des coureurs qui démarrent avant le coup d'envoi et qui arrivent généralement avant les autres.
Durant la période coloniale, il existait des structures coraniques traditionnelles ainsi que les classes maternelles qui prenaient en charge les enfants en vue de leur préparation à la scolarité, mais au lendemain de l'indépendance, avec les perspectives de « démocratisation de l'enseignement » et compte tenu des moyens existants, la priorité a été accordée à la scolarisation obligatoire des enfants de 6 à 16 ans, mais de notre temps l’école coranique n’était fréquentée que pendant les vacances d'été et l'école maternelle était obligatoire dès l'âge de cinq ans.
Je me souviens très bien de mon premier jour de maternelle. Lors des changements importants me concernant je n'étais pas mis au courant jusqu’à' à la dernière minute, car connaissant mon caractère rebelle, on redoutait la manifestation d’une escapade inopinée. Et ce matin-là, lorsque ma mère me vêtit de mes beaux apparats sans me donner de détails, un doute me prit mais sans que je sache de quoi il en était. Cependant lorsque je vis arriver à la maison mon oncle maternel, je sus par mémoire qu'il avait été convoqué pour une mission spécifique me concernant, dont mon père était dans l'incapacité physique et morale d’effectuer. Mon oncle habitait la ferme de mon grand père maternel et mon père lui faisait appel particulièrement pour les missions difficiles. Je le compris de suite, parce qu'il y avait des antécédents entre mon oncle et moi et le plus mémorable reste celui de mon baptême .Mon grand père maternel avait une belle ferme et j'y passais beaucoup de mon temps car j'étais l'aîné de mes frères et sœurs et je disposais de grands privilèges auprès de lui. Ce sont en fait les meilleurs moments de ma vie. En plus des étables de moutons, mon grand père possédait pas très loin de la ferme un jardin magnifique qui s'appelle Bouzaher. Dans ce jardin on y trouvait toutes sortes d'arbres fruitiers et ceux-ci étaient tellement grands qu'on ne pouvait voir le ciel. Tout au long de ce jardin à même l'intérieur coulait un petit ruisseau autour duquel régnaient une fraîcheur agréable et un calme reposant.
La date de mon baptême proche, nous partîmes à la ferme, mais on fit tout pour me cacher cet événement. Plus le moment approchait et plus je sentais que quelque chose se préparait à mon insu. Mais le jour où on m'habilla d'une belle djellaba blanche, je compris que mon jour était arrivé. Tout le monde savait aussi qu'on n'allait pas m'avoir facilement. Esseulé, sans aucun allié, je me mis à réfléchir au moyen d'une échappatoire sûre ou celle qui me permettrait au moins de repousser l'échéance redoutée .On était à l'approche de l’été, et les beaux épis de blé de mon grand père étaient très hauts , en tout cas plus grands que moi. Ma naïveté enfantine me fit voir là, le salut recherché et j'ai vite couru m'y cacher. Mais lorsque l'ordre à la chasse à l'homme fut donné, j'ai été trahi par mes mouvements et la meute dirigée par mon oncle bien aimé ne tarda pas à m'encercler. C’est encore mon oncle qui eut le privilège de me capturer et comme je me débattais de toutes mes forces et que lui aussi portait une djellaba je n'ai pas hésité à lui lacérer son habit en lambeaux à l'aide de ma belle dentition.
La connaissance de cet épisode était utile pour cette suite, c'est-à-dire le jour de la rentrée à l'école maternelle. Comme cité plus haut, les beaux habits que je portais ce jour-là me donnaient de l'inquiétude, parce que ce n'était pas un jour de fête, et je n'avais aucune information de ce qui allait se passer ce jour là. L'heure étant venue mon oncle finit par me surprendre et utilisa le même procédé que celui utilisé le jour du baptême pour m'emmener jusqu'à l'école. Naturellement j'ai aussi utilisé ma réplique habituelle, c'est à dire que sa djellaba arriverait en lambeaux. Le lendemain, la présence de mon oncle ne fût plus nécessaire, car dans le nouveau cadre de vie où on m'a envoyé, étant entouré de charmants bambins et ayant comme institutrice une agréable jeune dame , je finis par m'accoutumer rapidement à la vie en communauté.
Notre emploi du temps à l'école maternelle était adapté à notre âge. Vu que les enfants n'étaient pas tous d'origine française, nous avions un apprentissage progressif du langage lié aux jeux, au dessin ainsi qu'à d'autres activités non contraignantes pour l'enfant mais ayant aussi l'objet de raviver son attention et ainsi faciliter son adaptation à ce nouveau mode de vie. Au début nous avons commencé l'apprentissage du dessin. Beaucoup de gens pensent que le dessin est une matière sans grand intérêt et qu'elle est particulièrement destinée aux futurs artistes. En réalité un dessin fait par un enfant pourrait refléter tout ce qu'il ne peut pas exprimer par le langage parlé ou écrit: les personnes ou les choses qu'il aime le plus, ou celles qu'il déteste aussi, ce qu'il voudrait faire lorsqu'il sera grand et aussi ce qui lui manque. Les couleurs ont également leur importance, qu'elles soient douces ou agressives, nuancées ou vives. L'école maternelle n'est pas une garderie d'enfants. Les enfants s'habituent avant tout à vivre en société .Il apprennent à communiquer entre eux , à se tolérer , à donner et recevoir et à s'aimer mutuellement dans la diversité. L’école maternelle n'est pas non plus une garde à vue et on ne doit pas punir un enfant de bas âge qui ne peut encore distinguer le bien du mal. A contrario de la punition qui peut abrutir, c'est la récompense qui doit être utilisée en échange d'un bon comportement qui guidera l'enfant autour de son intérêt personnel.
Au cours de cette année à l'école maternelle, je ne me souviens pas d'avoir été puni une seule fois. Par contre je me souviens de toutes les récompenses que la maîtresse m'a offertes en échange de ma conduite. Et pourtant, comme je l'ai déjà décrit précédemment, à la maison mon enfance n'a pas été de tout repos pour mes parents. La méthode utilisée par notre maîtresse pour récompenser les enfants, n'était ni un bon point ni une image. C'était en fait un exercice et en même temps un concours qui commençait une ou deux heures avant la sortie et à la fin duquel la maîtresse choisit l'élève le plus sage qui aura mérité la récompense, en l’occurrence c'était toujours un grand sac de bonbons. J’ouvre une parenthèse pour rappeler les mauvais moments que j'ai fait passer durant mon enfance à mes frères et sœurs, ainsi qu'à mes parents. Et contrairement à l'idée que mes parents avaient de moi sur la discipline, c'était en général souvent à moi que revenait le sac de bonbons. La technique que j'utilisais est la suivante: dès que la séance commençait, je croisais bien les bras sur la table et immobile, je fixais la maîtresse du regard, jusqu’à ce que sonne la cloche de la sortie. A l'école maternelle on ne passait pas notre temps seulement à jouer. On nous apprenait aussi à compter, à lire et à écrire. Mais lorsque j'y pense, cette période basée sur le concept de l’obéissance et la discipline ne concernait pas seulement notre vie scolaire mais surtout faciliter notre future adaptation dans la société.