LE CANDELABRE D'AFFREVILLE
INTRODUCTION
En avril 1919,une propriétaire de Wattignies ,Mme Naudin,proposait à M. Luciani,alors Directeur des Affaires étrangères ,au Gouvernement Général,l’achat d’antiquités romaines : un groupe sculpté et deux petits vases en bronze.
M. Luciani accepta en son nom personnel, mais c’était pour en faire profiter, par une délicate attention, le Musée National dont il connaissait spécialement le Directeur, M. Carcopino , celui-ci ratifia d’enthousiasme cette heureuse acquisition et décida de mener sur place une enquête qui lui permettrait peut être de la compléter ,qui,en tout cas l’éclairerait sur les circonstances de la trouvaille .
Mobilier de l’Afrique Romaine
LE CANDELABRE D’AFFREVILLE : une pièce rare et unique .
Aidé par des notables d’Affreville ,M. Carcopino eut la chance,aux mois de mai et de juin 1919,de retrouver ,chez divers propriétaires de cette ville et d’acheter pour le musée d’Alger d’autres objets de bronze qui lui semblèrent au premier abord, provenir tous du même endroit et se rattacher à un même ensemble : M. Guillaud quincaillier à Affreville, lui céda un deuxième groupe sculpté qui était entre ses mains, et lui en procura un autre, analogue aux deux précédents ,que détenait, outre de nombreux débris, un troisième possesseur ; d’autre part, M.Carcopino obtenait de M. Pelletier la cession d’une base en bronze formée de trois panthère , dont il avait appris l’existence incidemment. Cette dernière pièce avait plus souffert que les précédentes : la réparation en fût confiée à ,pendant l’été,à un habile antiquaire d’Alger, M. Dorez, et, à la fin de l’année M. Carcopino s’ingénia de concert avec M. Glénat , Conservateur du Musée des Antiquités , à reconstituer le trépied hypothétique auquel tous ces fragments leur semblaient avoir indistinctement appartenu . Mais tout essai de « restauration » demeura vain : les dimensions de la base supposée ne cadraient pas avec celles des montants ; de plus, l’élégance vigoureuse des panthères contrastait avec la lourdeur et la mollesse des appliques ; enfin les déclarations contradictoires recueillies dans la région d’Affreville laissaient planer des doutes sur l’identité des lieux où s’étaient effectuer les trouvailles. Appelé à la Sorbonne en 1920, M. Carcopino ne put ,avant son départ , que prier le R.P Giacobetti, un religieux de l’ordre des Pères Blancs en résidence aux Attafs de vouloir bien consulter une seconde fois les anciens possesseurs et interroger leurs souvenirs. Arrivé à Paris , il dût se borner à présenter devant la Commission de l’Afrique du Nord, les photographies de tous les bronzes qui appartenaient désormais au Musée d’Alger, en faisant toutes ses réserves sur leur attribution à un seul et même support. Quelques mois plus tard, il recevait du P. Giacobetti, qui avait conduit ses recherches avec une finesse égale à sa connaissance du pays, une lettre qui levait tous les doutes : la base aux panthères avait été exhumée quelques dix ans plus tôt , dans la banlieue immédiate d’Affreville (au nord-est de l’agglomération actuelle) par M. Pelletier, lors des travaux exécutés sur un terrain personnel. En revanche tous les autres fragments avaient été mis au jour dans des conditions mal définies et à une date incertaine dans les ruines de l’ancienne Tigava. Il s’agissait donc de deux objets distincts et différents , recueillis l’un et l’autre dans un centre de colonisation romai
LE CANDELABRE D’AFFREVILLE
Malgré l’absence de tout autre fragment , la base d’Affreville se laisse reconstituer sans trop de peine : le trou central où s’encastrait quelque fût quadrangulaire permet de reconnaître un de ces candélabra qu’on rencontre dans mainte collection publique ou privée. Mais cet objet d’usage si commun –encore n’abonde-t-il pas dans les musées de l’Afrique- n’atteint guère au grand luxe. Si le fût où excellait la toreutique tarentine,s’enrichit parfois d’un ornement plus ou moins rococo, il repose presque toujours sur de simples griffes de fauves ; à en juger par les produits des fouilles , notre groupe fait presque exception et ceux mêmes dont on peut les rapprocher en rehaussent l’intérêt historique et la valeur esthétique.
La première conception semble en revenir aux artistes de Grèce ou du moins de Grande-Grèce : le groupe découvert par M. Orsi dans une nécropole voisine de Caltagirone en Sicile porte la marque d’un essai empreint d’une gaucherie naïve, c’est à peine si l’on peut reconnaître des dauphins dans ces corps de bronze façonnés à gros traits, dont l’élan se brise sur une lourde console , où il reposent la tête en bas. De son côté la sculpture étrusque aborde le problème, mais la solution qu’elle en donne manque encore d’élégance : à trois griffes de fauve elle emmanche trois têtes fantastiques dont le cou s’allonge démesurément ; l’art en souffre autant que la nature. Un petit bronze romain du Louvre marque un progrès dans la conception, sinon dans l’exécution : tournées encore vers l’extérieur , des lionnes dressées sur leurs pattes soutiennent cette fois le montant de leur échine ; les bêtes jouent maintenant leur vrai rôle de support ;mais figées en atlantes,elles perdent les avantages de leur nature et compromettent la grâce légère de l’appareil. Il suffisait de les sculpter dans leur pose habituelle de fauves bondissants pour obtenir du même coup le plus bel effet décoratif. Deux artistes au-moins l’ont compris : l’auteur de notre groupe et celui qui a ciselé une autre base du Louvre. Or ces deux produits de l’Art romain , uniques jusqu’à cette heure , ont entre eux tant d’affinités qu’on les croirait sortis de la même officine et que leurs différences permettent de mieux goûter encore la merveille d’Affreville.
De part et d’autre , trois panthères femelles , prenant appui sur de petites palmettes trifoliées ,s’élancent, le corps tendu, les pattes projetées ; les queues tombent raides, puis rebondissent pour former un anneau que soutient une tige ; les poils enfin sont indiqués à la même place et de la même façon . Mais les panthères portent un collier, et , ce détail , en apparence insignifiant ,nous explique ce qui les distingue des autres : apprivoisées,comme celle de mainte mosaique, elles font « le beau » plus qu’elles ne bondissent, le corps n’a pas cet élan qui fait saillir les mamelles , les griffes s’étalent sur le fût et sur des feuilles stylisées au lieu de s’agripper aux pédoncules des coquilles ;l’œil doucereux ne jette pas de regards flamboyants ;la gueule entr’ouverte aboie sans conviction ,et la nuque s’incline d’un air soumis, alors que les panthères d’Affreville redressent tout à coup l’échine et lancent de côté leurs belles têtes de fauves. Ce geste , pris sur le vif , n’enlève rien à la pureté de la ligne ,qui suit les formes souples de l’animal,serpente le long de la queue à la rencontre du fût quadrangulaire ; bien plus , il rompt la monotonie et permet d’éviter l’apparence un peu grèle que pourraient donner à l’ensemble ces longs corps effilés .
Ces différences de détail , qui tournent , croyons-nous à l’avantage du nouveau support , ne doivent pas faire oublier une profonde analogie de structure qui semble révéler une communauté d’origine. Comme on ne sait pas où fût découverte la base du Louvre , on pourrait songer d’abord à une double fabrication africaine ; mais le fait qu’elle appartenait autrefois à la collection Campana est une forte présomption en faveur de quelques candélabrarius de la métropole ; or c’est vers l’Italie –vers l’Europe au moins- que le groupe d’Affreville se laisse ramener,lui-même , en dépit des apparences , si l’on en juge par les panthères de Mahdia. Sans appartenir à un candélabre ,comme en témoignent les trous qu’elles portent au flanc ,celles-ci présentent une certaine analogies avec les nôtres : la gueule ouverte ,elles s’élancent toutes cinq, les pattes en avant et redressent le haut du corps pour jeter la tête en arrière, les unes à droite , les autres à gauche, or l’on sait qu’un navire romain les transportait d’Europe en l’Afrique. Une autre comparaison s’offre avec certain bronze de Naples,dont l’origine italique paraît certaine . Ajoutons enfin que les panthères d’Affreville semblent d’un art trop ancien et trop pur pour avoir vu le jour dans une petite cité d’Afrique qui n’a livré encore que de rares inscriptions , une tête de marbre sans intérêt et quelques monuments funéraires à bas reliefs , grossiers. Elles témoignent en tout cas , du goût qu’avaient les Romains d’Afrique et du luxe dont ils s’entouraient dans leurs villas, puisque c’est un des rares spécimens que nous connaissions –et c’en est le plus beau- des candélabres à support figuré.