L'enseignement et l'éducation peuvent cohabiter.
Nos Braves Instituteurs ...
Par Mohammed Ettaieb
L'époque où je vous relate cette histoire, nous habitions la rue Richard Lenoir, une rue résidentielle bordée de platanes qui mène à la gare et dans laquelle n'existait aucun local de commerce .Nous avions comme voisinage le cabinet du docteur Morgan et celui du docteur Jourdan et en face de nous résidait le capitaine Bigeard dont j'aidais fréquemment sa fille qui avait mon âge , dans ses exercices de mathématiques. Pour nous , français musulmans étions sous le régime du couvre-feu et seuls les colons avaient droit d'aller au cinéma le soir. Mais moi j'avais la chance d'échapper à cette règle,parce que j'aidais la fille du capitaine Bigeard à faire ses exercices et elle obtenait de bonnes notes. Donc mes aptitudes scolaires me procuraient le privilège, (en accord de mes parents) de pouvoir aller certains soirs voir un film au cinéma Le Vox en compagnie des Bigeard qui par ce geste me manifestaient leur reconnaissance. La salle de cinéma L' Elysée ,contrairement à son enseigne présidentielle , était réservée aux indigènes et pendant la journée seulement .
C'était la période de l'adolescence et comme chacun sait, l'âge de la rébellion ,de l'insouciance et parfois même de dépassements incontrôlés.En plus des efforts dispensés par nos instituteurs et professeurs , il est utile de préciser qu'à notre époque , malgré le peu de moyens qu'avaient nos parents,ils ne lésinaient pas sur l'éducation et la discipline. De toute mon enfance et ma jeunesse , je ne me souviens pas avoir dépassé le seuil du respect vis-à-vis de mes aînés , entre autres mes parents. Mais il y eut quand même une exception ,et une seule en ce qui me concerne, et cela a du se produire d'une manière inconsciente et involontaire, car je ne m'en suis pas rendu compte sur le moment. J'étais certes un garçon turbulent et mon père ne se privait pas de me corriger à l'aide d'un martinet en cuir qu' il faisait faire chez le cordonnier .A propos de ce martinet ,je me souviens qu'il se composait de dix lanières de cuir clouées sur un bâtonnet en bois. Et du moment que ce martinet n'était destiné particulièrement qu'à ma personne , mes autres frères et sœurs étant épargnés , je considérais cela comme une injustice punitive. Après mûre réflexion à la manière de me débarrasser de cet outil de torture, j'ai trouvé une solution non pas définitive , mais qui me permettrait au moins d'augmenter les intervalles de mes châtiments.Et de ce fait une idée lumineuse me vint. Tous les un ou deux jours , j'arrachais régulièrement une lanière du martinet ,une seule à la fois pour ne pas créer de soupçon. Au fur et à mesure que le nombre de lanières diminuait du martinet, mes douleurs faisaient de même et lorsqu'il n'en restait qu'une ou deux lanières, c'était le meilleur moment pour moi, car le temps que mon père aille refaire le martinet chez le cordonnier, j'en profitais pour libérer mes excès d'énergie .
Pour en revenir à l'incident avec ma mère, mon père ayant été certainement mis au courant mais comme ne m'ayant fait aucune remarque, je ne m'aperçus de rien.Le lendemain , lundi, nous avions avec M. Yahi , cours d'histoire matière que je détestais le plus avec la géographie.Comme par hasard ce jour-là je n'avais pas appris ma leçon , et comme par malchance aussi (ce que je croyais),c'est moi que M. Yahi appela le premier au tableau. En ce qui concernait les corrections physiques, M. Yahi ne distribuait ni de claques ,ni autres coups du même genre, du moins concernant notre génération.Il nous prenait les deux oreilles et nous soulevait de sorte que nous sentions notre tête se détacher de nos épaules.Nous n'avions pas intérêt à tenter le moindre geste , la punition doublerait , tout le monde le savait. Mais ce jour-là en plus de mon épreuve insoutenable, M. Yahi se mit tout à coup à me répéter :« Alors comme cela,on manque de respect à sa mère, alors on manque de respect à sa mère? ».Je compris tout de suite que mon père a laissé le soin à M. Yahi de réparer mon écart de conduite , ainsi qu'une punition publique ajouterait à mon châtiment .Mes souvenirs concernant cette anecdote (ainsi que d'autres) demeurent encore vivaces dans mon subconscient car ils m'ont marqué à vie. Et de même que si nous pensons à donner une bonne éducation à nos enfants,c'est parce que nous en avons reçu une meilleure.
Par Mohammed Ettaieb
ECOLE NORMALE DE BOUZAREA .PROMOTION 1945/49
CHEIKH YAHI (Allah Yerhmou): debout,dernier rang , troisième à partir de la droite.