Ces Géants que j'ai connus : Si M'Hamed BOUGARA.
Le Colonel Si M'Hamed BOUGARA, deuxième à partir de la gauche,au milieu de ses hommes.
Extraits de "Mémoires"
Livre écrit par Si Lakhdar Bouregâa.
Ex. Officier superieur de l'ALN.
Ex.Responsable politico-militaire de la Wilaya IV.
CES GÉANTS QUE J'AI CONNUS
Si M'Hamed BOUGARA
J'ai rencontré Si M'Hamed Bougara pour la première fois à Ouezana,
à l'est de Chréa, le 28 juin 1956. Il était avec un groupe de dirigeants qui
se rendaient au congrès de
permit pas de bien l'approcher.
Je le rencontrais de nouveau à son retour du congrès de
fin septembre 1956, à Beni Misra, au sud-est de Chréa. Depuis, j'eus souvent
à le côtoyer, pendant près de trente mois, durant toute la période où
il a dirigé
et dans la douleur. J'ai assuré sa protection, j'ai fait le coup de feu
avec lui. Je l'ai vu réagir aux mauvaises nouvelles, j'ai suivi le travail exceptionnel
qu'il a mené et la redoutable organisation qu'il a mise en place. J'ai
été témoin de moments qui marquent la vie d'un homme, lorsqu'il était
amené à prendre des décisions importantes.
Je dois dire qu'on utilise souvent des superlatifs pour décrire les grands
dirigeants. Mais Bougara était au dessus. Avec lui, je compris qu'un chef,
ce n'est pas seulement un concept théorique, mais une réalité concrète.
On le sent à son contact, quand on discute avec lui, quand on l'accompagne,
quand on écoute son discours, quand observe son comportement
avec les hommes, son sens de la décision, sa capacité d'agir ou de réagir.
J'a eu le privilège de le côtoyer souvent en zone 2 de
l'ouest de Médéa, jusqu'aux confins de l'Ouarsenis. C'est le centre de la
wilaya IV, où il avait établi son PC. Dans ses déplacements, il passait obligatoirement
dans notre zone. Avec l'Ouarsenis et le Dahra, c'état le
maquis le plus sûr. Pour des raisons pratiques, les réunions du Conseil de
wilaya ou des chefs de zone se tenaient dans la cette région, où j'ai passé
l'essentiel de mes six années au sein de l'ALN. J'ai donc souvent eu à l'accompagner,
à assurer sa protection, à transmettre ses ordres, à organiser
des opérations sous son commandement.
Bougara était un brillant orateur. Quand il faisait un discours, exposait
une situation ou donnait des ordres, il était précis, méthodique. Lorsqu'il
a terminé, il n'y avait plus de questions à poser. Il avait un talent particulier
pour comprendre la capacité de ses interlocuteurs et utiliser les mots
justes pour expliquer, ordonner ou convaincre. Ecouter son discours
était, pour moi, un moment de prière.
C'était un homme grand, 1,80m, svelte, avec une bonne mine de jeune
homme. Il avait une ressemblance étonnante avec Djamel Abdennasser.
Quand je l'ai connu, il était dans la force de l'âge, la trentaine à peine.
L'allure sportive, dynamique, toujours en tenue réglementaire impeccable,
les manches retroussées été comme hiver, rasé de près, il était éclatant de
santé. Il tenait à donner une image du commandant qu'il était.
C'était aussi un homme fin, très sensible. Il aimait la poésie et la
musique. Il adorait Oum Kalsoum. Je l'ai surpris un jour, alors qu'il rédigeait
un rapport. Il avait à côté de lui une radio qui diffusait de la musique.
Une femme chantait. Je ne savais pas de qui il s'agissait. Il l'accompagnait,
fredonnait le refrain, tout en écrivant. Quand il s'aperçut de ma présence,
il a rougi. Comme si je l'avais surpris en train de commettre quelque larcin.
- Je ne me lasse jamais d'écouter cette voix. C'est Oum Kalsoum. Une
chanteuse " halloufa " (immense), dit-il. Depuis ce jour, nous avons pris
l'habitude d'utiliser ce terme " hallouf " pour désigner tout évènement ou
fait important, qu'il s'agisse d'accrochage ou de butin.
Quatre objets ne le quittaient jamais : son arme, le stylo, le cahier de
notes, et le dentifrice. C'est d'ailleurs avec lui que j'ai découvert le dentifrice,
et commençai à l'utiliser. J'avais 23 ans…
Il avait un grand talent pour écouter, aimait discuter avec les étudiants,
les poussait à parler, recherchait leur avis. Il savait se montrer ferme,
intransigeant quand les intérêts de la révolution l'exigeaient. Mais il faisait
preuve d'une grande souplesse dans ses relations avec les djounoud.
Il savait organiser la concertation quand c'était nécessaire, et décider
vite quand il le fallait. Il savait aussi reconnaître son erreur. Comme ce fut
le cas avec Ahmed Abdellaoui, dit Toufik, un Oranais qui avait fait ses
études en Egypte avec Boumediene. Abdellaoui était un homme dynamique-
et virulent. C'était aussi un fumeur invétéré, alors que la cigarette
avait été interdite en Wilaya IV.
Nous nous trouvions un jour dans la région de Ouled Aïd, à côté de
Ksar El Boukhari. Toufik avait trouvé un mégot dans un cantonnement
de l'armée française. Il s'était mis dans un coin isolé pour fumer. Si
M'Hamed avait senti l'odeur, et l'a découvert. Il l'a pris en en flagrant
délit, en train de commettre une infraction aux règles fixées par l'ALN.
Il le ramena vers un groupe de moudjahidine et s'adressa à lui durement:
- je vois que tu es inutile pour la révolution, dit Bougara.
-
Toufik, qui n'avait pas la langue dans la poche, répondit du tac au tac :
- Tous les Algériens sont utiles, dit-il
Si M'Hamed s'est rendu compte de son erreur. Mais il ne pouvait perdre
pied.
- Oui, mais personne n'est indispensable, répondit-il.
Il avait eu le dernier mot, mais il s'était rendu compte que cette mesure
relative à l'interdiction de la cigarette était nuisible pour l'ALN. Il a
décidé de passer l'éponge. Depuis ce jour, Abdellaoui a eu un ascendant
sur nous, car il a osé répliquer à Si M'Hamed. Il l'avait poussé dans ses derniers
retranchements, le forçant à revenir sur une règle établie dans les
maquis.
Abdellaoui s'enhardit. Il se permettait de prendre des décisions qui ne
relevaient pas de ses prérogatives. Le 19 septembre 1958, nous devions
organiser une opération pour célébrer la création du GPRA. Il ne devait
pas y participer. Je refusais personnellement qu'il fasse partie du groupe
qui en était chargé.
- J'y vais pour ramener des cigarettes, me dit-il simplement.
Il a imposé sa présence lors d'une opération uniquement dans l'espoir
de trouver des cigarettes. Bougara admirait son cran, son courage, son
franc-parler. Mais il ne pouvait admettre le manquement à la discipline. Il
le fit envoyer en Wilaya V, où la cigarette était permise.
Bougara a tenu le même raisonnement quand le Commandant
Azzeddine s'est évadé. Beaucoup de doutes planaient sur cette évasion,
aussi rocambolesque que douteuse. Si M'Hamed était devant un dilemme.
Il ne pouvait condamner un homme sur de simples présomptions. Mas le
devoir de vigilance lui interdisait de garder un homme sur qui pesaient
des doutes, et qui risquait de mettre
à l'extérieur, où les possibilités de contact avec l'ennemi étaient
inexistantes. Ainsi préservait-il l'honneur d'un moudjahid, tout en lui
ôtant toute possibilité de nuire éventuellement.
Dans la vie quotidienne au maquis, il avait cette capacité d'adopter l'attitude
qui impose son autorité morale avant celle de la hiérarchie. On
obéissait à l'homme plus qu'au colonel. On écoutait le frère plus que le
militaire. Il savait naturellement faire le geste qu'il faut pour forcer le
respect, préférant mobiliser, haranguer, motiver les hommes plutôt que
sanctionner ou imposer son grade. Je l'ai vu accomplir des gestes simples
qui ont littéralement transformé des hommes de son entourage. Je l'ai vu
porter un blessé, donner sa kachabia à un moudjahid qui avait froid, relever
une sentinelle trop fatiguée, donner à manger aux hommes avant de
manger lui-même, autant de gestes qui ont poussé des centaines d'hommes
à se surpasser.
Il avait aussi un sens du contact peu commun. Dès qu'il arrivait dans
un douar, il était chez lui. Les habitants l'adoptaient avec une aisance
extraordinaire. Il posait des questions, écoutait les doléances, réglait les
contentieux dans des cérémonies simples, allant systématiquement dans
le sens la conciliation et de la solidarité. Il entamait le plus souvent la discussion
en s'enquérant de la situation des veuves et des enfants de chouhada.
Cadeaux
En 1957, Si M'Hamed se rendit dans la régions frontalière, en wilaya
V. Il y a rencontré le colonel Athmane. Au moment de se séparer, celui-ci
lui fit un cadeau, comme il était de tradition. C'était une arme, une carabine
US. Mais en Wilaya IV, cette arme nous paraissait ridicule. Pour
nous, c'était une belle arme d'apparat, mais elle était inutile dans les combats,
car les munitions en étaient inexistantes.
Bougara s'en est expliqué avec Athmane. Cette arme est plus utile chez
vous, car vous disposez des munitions adéquates, dit-il. Il a tiré profit de
cette occasion pour exposer les difficultés pour
Il a ensuite demandé qu'on lui fasse un autre cadeau. Son choix
s'est porté sur un moudjahid, Belarbi. C'état un juriste établi en France,
qui avait rejoint l'ALN. Fils d'un notable de l'administration coloniale,
Belarbi avait tenté de rejoindre le FLN en France même, mais il avait été
refusé, à cause du statut de son père. Il était rentré en Algérie et avait
rejoint l'ALN. Il est revenu avec Bougara en Wilaya IV. Il est tombé au
champ d'honneur dans la région de Bouhandès, au sud de Chréa, en 1958.
Les cadeaux échangés pendant cette période révélaient parfois le
caractère des hommes, leurs soucis, leurs espoirs. En 1958, à la fin de la
réunion des colonels de l'intérieur qui eut lieu en Wilaya II, un autre
échange de cadeaux a eu lieu. Armes, drapeaux, montres, photos, fanions
étaient les cadeaux traditionnels.
Amirouche, chef de
chef de
également offrir un cadeau à Si M'Hamed, qui s'excusa.
- Je n'ai rien, dit-il. Mais je vous enverrai des cadeaux à mon retour.
Il s'adressa à Si Haouès :
- Je t'enverrai le meilleur commissaire politique, dit-il.
Si Haouès avait en charge
terrain difficile parce que découvert. En plus, il y avait une forte présence
des messalistes en Wilaya VI.
- Au Sahara, lui dit-il, vous avez trois ennemis : la nature, les Français
et les messalistes. Je t'enverrai un commissaire politique pour combattre
cette adversité.
A son retour, il lui envoya Mahmoud Bachène, originaire de Médéa,
alors commissaire politique, lieutenant de zone. Si Haouès décida de le
faire monter en grade, pour en faire un capitaine, chef de zone, sans
même le connaître. Mahmoud Bachène y est tombé en chahid avec
Cheïkh Tayeb Djoughlali.
Amirouche a offert à Si M'Hamed son secrétaire, Khaled, un bon
bilingue, tombé en juillet 1959 en Wilaya IV, au nord de Ksar Boukhari.
A Hadj Lakhdhar, qui a représenté
Bougara a envoyé deux commandos, celui de la zone 2, dirigé par
Boualem Fakroun, et celui de la zone 1, dirigé par Belaïd. Quant au
Commando de la zone 3, il a été envoyé en Wilaya VI.
Si M'Hamed a réussi à créer un climat de solidarité exceptionnel au
sein des unités de l'ALN. Il mettait en avant les symboles les plus purs, les
valeurs les plus nobles, pour permettre aux moudjahidine de donner le
meilleur d'eux-mêmes. Des années plus tard, je m'interrogeais toujours,
sans trouver de réponse, sur les méthodes auxquelles il a eu recours pour
développer cette abnégation et ce sens du sacrifice chez les moudjahidine.
Avec Bougara, mourir pour l'Algérie, pour la révolution, ou pour sauver
ses compagnons était devenu un acte très recherché.
J'en ai été témoin. Cela se passait à Sebt Aziz, à l'ouest de Médéa, en
avril 1959, peu après la mort de Si Haouès et Amirouche, et quelques
semaines à peine avant la mort de Bougara. Nous avions établi un contact
avec la harka de Sebt Aziz, dont les chefs souhaitaient rejoindre l'ALN.
A suivre...
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