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LA BATAILLE DE OULED BOUACHRA

Le jour où Si M’hamed Bougara est tombé au champ d’honneur
La bataille de Ouled Bouachra (Médéa)

Par Djamel BELBEY
Publié le 26 aoû 2012
Il est des faits de l’Histoire qui restent indissociables de leurs acteurs, a fortiori lorsqu’il s’agit d’événements ayant engagé des personnalités, dont les noms sont gravés à jamais dans la mémoire collective des peuples.
Le chahid Si Ahmed Bougara assis à droite

La bataille de Ouled Bouachra, qui eut lieu le 5 mai 1959 dans l’actuelle wilaya de Médéa et Wilaya IV historique, ne peut être évoquée sans le martyr Si-M’hamed Bougara, qui fut l’un des principaux architectes de la stratégie politico-militaire de la révolution ayant libéré le pays. Ce héros national est tombé au champ d’honneur, à l’âge de 31 ans, alors qu’il commandait, de 1957 à 1959, l’une des plus importantes wilayas de la Révolution, en l’occurrence la Wilaya IV, soit un territoire qui s’étendait au centre du pays, sur une superficie égale à celle de dix actuelles wilayas. De l’ouest de la Kabylie à la région de Chlef. Sur près de 250 km d’est en ouest, sur 200 km du nord au sud. Elle englobait notamment Alger, avant que celle-ci ne soit érigée en zone autonome, avant d’être à nouveau rattachée à la Wilaya IV.

La situation géographique de cette wilaya historique, connue pour sa position stratégique, de par sa proximité avec la capitale et le lien qu'elle constitue avec les autres wilayas, en a fait une zone durement surveillée, l’armée coloniale essayant systématiquement de réduire alors les «troubles» à des régions éloignées. Isolée de toutes parts et loin des zones frontalières, elle fut également l’une des wilayas qui était la plus démunie en armement. Un handicap que ses dirigeants tentèrent de contourner par des contacts avec les autres Wilayas limitrophes.

La Wilaya IV fut aussi le théâtre des plus grandes opérations de contre-révolution, de contre-maquis et d’expérimentation de techniques de la contre-guérilla. Malgré cela, la wilaya de l’Algérois gardait un important potentiel militaire, estimé à quelque 5 000 djounoud, et a su remporter de précieuses victoires sur l’ennemi. Aussi, cette wilaya, qui s’est toujours singularisée par rapport aux autres Wilayas, a-t-elle réussi à transposer le combat en ville quand les campagnes étaient cernées et à disperser ses unités quand l’armée française lançait de grandes opérations militaires. A armes inégales, l’enfant prodige de Ath Yala, en l’occurrence, Si-M’hamed Bougara, de son vrai nom Ahmed, et ses compagnons dirigèrent les batailles de l’ALN contre les forces coloniales et démontrèrent leur capacité à résister au colonialisme aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Leur technique reposait sur la guérilla. «Face à un ennemi plus puissant, nous sommes appelés à définir dans notre lutte un type de guerre populaire pour lequel l’adversaire n’est pas préparé et notre arme absolue demeure l’organisation», disait-il à ses djounoud. L’Histoire retient que le chahid a réussi à imposer de véritables zones libérées dans l’Ouarsenis, le Zaccar, l’Atlas blidéen et les monts de Médéa. Tout comme il a dirigé de grandes batailles à Amrouna, Theniet El-Had, dans l’Ouarsenis, à Bouzegza, dans le Zaccar et aussi à Oued El-Maleh et Oued Fodda. Autant de hauts faits d’armes réussis grâce à la détermination et à la sagacité des chefs militaires de l’ALN, qui suscitèrent non seulement la reconnaissance de l’ennemi, à l’instar du général Bigeard, mais aussi son acharnement à vouloir liquider ces chefs. Dans son livre, Le Torrent et la Digue, le général Massu écrivait : « A l'heure où l'on se plaît à dire que la rébellion a perdu la partie, parce qu'elle est étranglée aux frontières tunisienne et marocaine et parce que, incontestablement, le djoundi souffre dans le maquis physiquement et moralement, nous assistons à un phénomène déconcertant : au beau milieu du territoire algérien, la Wilaya IV fait montre d'une vitalité et d'un dynamisme extraordinaires. Elle s'est toujours singularisée par rapport aux autres wilayas. Cela a tenu à la personnalité rayonnante du colonel Si M'Hamed, moins intellectuel que son second, Kabyle brillant et réfléchi, mais un véritable chef de maquis. Grâce à lui, la flamme révolutionnaire brûle en Wilaya IV. Une révolution qui se veut pure et qui s'affermit par opposition au relâchement relatif régnant dans les autres wilayas. »

C’est dans ces conditions que Bougara, ce héros de la lutte de libération nationale, est devenu la cible de l’armée coloniale. Et le 5 mai 1959, il tombe en martyr lors de la bataille de Ouled Bouachra, durant laquelle sont mobilisées d’importantes forces armées françaises, y compris de l’aviation. Amirouche et Si El Haoues étaient morts depuis deux mois déjà. Bougara était devenu l'homme le plus recherché de l'intérieur. L'état-major français avait fait de son élimination une priorité absolue. Mais en dehors de quelques rares témoignages de ses compagnons d’armes, notamment le commandant Si Lakhdar Bouragaâ, les circonstances exactes de sa mort restent inconnues. Et on ne connaît pas, à ce jour, de tombe à ce chahid, même si une stèle commémorative a été érigée en son nom et au nom de ses compagnons au cimetière des chouhada de Ouled Bouachra(Médéa).

Selon ces mêmes témoignages (voir site de la wilaya de Médéa), Bougara, qui se trouvait alors dans la région de Ouled Bouachra, à l'ouest de Médéa, depuis le 15 mars, avait, peu auparavant, participé à une grande bataille près de djebel Ellouh, au sud de Aïn-Defla.

« En pleine nuit, des éclaireurs ont sonné l'alerte. Des unités françaises faisaient mouvement dans le secteur. Elles étaient en opération depuis le 23 avril, dans le cadre de l'opération Couronne. Elles avaient atteint les premières lignes où se trouvaient les guetteurs. Si M'Hamed a donné l'ordre de se disperser. Lui-même, avec son escorte, prendrait une autre direction, pour se rendre vers le PC de la Wilaya. » « Bougara avait rapidement regagné son PC, où il avait trouvé une section, qui avait en charge le poste de transmission, d’où avait été établi un contact radio par l'état-major avec le commandement de la Wilaya IV, la veille de la mort de Bougara. En faisant rapidement le point, les moudjahidine avaient rapidement réalisé que l'opération de ce 5 mai 1959 n'était pas une simple opération de routine, comme on en avait pris l'habitude. Les unités engagées étaient plus nombreuses, et sa durée exceptionnelle. Il s'agissait d'une opération d'envergure. Bougara fut informé de la conclusion à laquelle étaient arrivés les officiers : l'opération était destinée à briser la Wilaya IV, et lui-même en était la cible principale. »

Vers 10 heures, les premiers coups de feu éclatent. A la fin de l’accrochage, ses compagnons, qui se rendent sur les lieux de l’opération, ne trouvent aucun indice de sa présence, jusqu'au 8 mai. Ce jour-là, des avions militaires français larguent des tracts sur la région. Avec un message funeste, annonçant la mort de Bougara. Quinze hommes en tout sont tombés avec Bougara.

Mohamed Teguia, dans son témoignage dans le livre Frères Contemplatifs en Zone de Guerre : Algérie 1954 : 1962 Wilaya IV, écrit : «La disparition du colonel Si M’hamed, au sens propre et au sens figuré, car son corps ne fut pas retrouvé, fut un coup rude pour l’état-major de la Wilaya, dont il représentait l’élément d’équilibre, celui qui se conformait le plus aux principes d’équité, de sagesse ; sa perte, en ce temps trouble, ne fut pas connue par les djounoud. Un mystère planait ; les combattants encore vivants, revenus sur les lieux de l’accrochage retrouvèrent les corps de tous leurs compagnons morts au combat, qu’ils enterrèrent, sauf celui de Si M’hamed. » Un rapport conclut que le colonel Bougara a été donc fait prisonnier, alors qu’il avait été blessé dans un combat contre les troupes du colonel Challe, dont les grandes opérations couvraient, à cette époque, tout le territoire de la Wilaya IV. Si M’hamed était vivant, mais blessé, et est mort sous la torture. Son corps était donc entre les mains des troupes de Challe au lendemain de cette bataille, c'est-à-dire le 6 mai 1959.

Revenant sur ces circonstances, le commandant Bouragaâ a indiqué qu’ils s’étaient quittés la veille de sa disparition, soit le 5 mai 1959 alors qu’ils étaient dans la zone d’Ouled Bouachra au nord de Ksar Boukhari. « Si M’hamed était depuis quelques jours perturbé. Plus particulièrement à son retour da la réunion qui s’était tenue dans la Wilaya II. Alors que je devais faire sortir ma katiba de la zone de danger (encerclée par l’armée française), il me conseille d’agir comme une guêpe. Piquer et prendre le départ car mes hommes étaient épuisés et les munitions manquaient. Informé que son PC était encerclé, le colonel Bougara revient à son point de départ à Ouled Bouachra. Un accrochage eut lieu à ce moment. Pendant trois ou quatre jours, nous n’avions pas de nouvelles de lui. Nous avons appris sa mort par un certain Kaddour El-Baghdadi, un rescapé de l’accrochage », confie le commandant Bouragaâ. Les archives de la Fondation historique de la Wilaya IV font état qu’au début de l’été 1959 le colonel Bougara se trouvait avec une importante unité dans la région de Médéa. Il s’agissait d’une dernière sortie puisqu’il est rappelé que, dans la nuit du 4 au 5 mai 1959, «des phares de véhicules français ont commencé à converger de toutes les directions vers la région où il se trouvait ». «C’était un encerclement mené avec plusieurs milliers d’hommes. Au petit matin, la bataille a commencé. Elle a duré des heures. Plusieurs dizaines de moudjahidine y sont tombés. Parmi eux, Si M’hamed Bougara », relèvent les archives de la Fondation. Le colonel Si Hassan, nom de guerre de Youssef El-Khatib, ancien chef de la Wilaya historique IV, dit privilégier une version, «plus plausible», corroborée par certains témoignages, selon laquelle Si M’hamed Bougara aurait été blessé lors de la bataille, le 5 mai 1959, fait prisonnier et torturé à mort par les services spéciaux de l’armée française.

D.B.



02/05/2013
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